Nous avons passé au Maroc 6 semaines très riches, ponctuées de journées de mission, de rencontres fortes et interpelantes, de témoignages auprès de différents publics, de beaux moments partagés avec la famille Jacquier, qui nous a hébergés pendant 1 mois à Casablanca, de promenades et visites dans les villes de Tanger, Rabat, Casablanca, Meknès, Fès et Midelt, de multiples trajets en taxi, de dégustations de melwis (ndrl. délicieuses crêpes marocaines !), de déambulations dans les souks, de négociations en folie et de l’apprentissage quelque peu bancal de l’Arabe par Etienne !
Ce mois et demi fut marqué par notre mission auprès des Missionnaires de la Charité de Casablanca, qui s’occupent essentiellement de filles-mères rejetées par leurs familles. Cette mission, dont nous parlons plus longuement dans un article dédié, ainsi que les nombreuses rencontres que nous avons faites – expatriés français, prêtres, religieuses et religieux français ou étrangers, Marocains - nous ont permis en quelques semaines d’en savoir plus sur ce peuple attachant mais mû, comme toute société, par des questions complexes et délicates.
Nous avons choisi d’évoquer ici quelques-unes des questions auxquelles nous avons été confrontés tout au long de notre séjour au Maroc. Nous assumons pleinement la subjectivité avec laquelle nous traitons tout cela et nous excusons par avance si la façon dont nous avons perçu les choses ne correspond pas à la vôtre.
Les Marocains forment un peuple accueillant et chaleureux qui aime parler de son pays et de son histoire ; mais il y a 3 sujets dont on ne parle pas, ou plutôt dont on ne parle pas librement…
Tout d’abord, l’Islam. L’Islam étant la religion d’Etat, tous les Marocains naissent et meurent musulmans. La « religion du Prophète » est donc omniprésente au quotidien, que ce soit dans le discours des Marocains - « Inch’Allah » et « Hamdoulilah » reviennent très fréquemment au cours d’une discussion -, par le muezzin qui chante 5 fois par jour pour appeler à la prière ou par le fait que l’ensemble de la population marocaine respecte le Ramadan, dont nous avons d’ailleurs vécu 1 semaine à la fin de notre séjour au Maroc. On peut donc évidemment parler de l’Islam avec un Marocain mais en évitant toute critique vis-à-vis de la religion. Cependant, lors de notre trajet en stop de Tanger à Casablanca, nous avons eu la chance de bien discuter avec nos conducteurs marocains. Après nous avoir dit qu’ils ne pouvaient pas formuler de telles remarques auprès de leurs proches, ils nous ont fait part de leurs inquiétudes sur l’avenir de l’Islam, sur la radicalisation actuelle et sur la nécessité d’une réforme pour que les choses évoluent dans le bon sens. Nous avons donc été saisis par la soumission de tout un peuple à une religion, par ce respect inconditionnel et quasi aveugle – toute remise en question devant être tue pour n’être connue ni des autres, ni de Dieu.
Autre sujet tabou : le Roi. Mohammed VI est très apprécié par le peuple marocain car il a contribué à la création de nombreuses infrastructures dans le pays (notamment les autoroutes et bientôt le TGV) et parce qu’il est bien plus doux et clément que son père, Hassan II, dont le règne fut marqué par une violence et une répression terribles à l’égard de l’opposition. En plus du pouvoir politique qu’il détient, le Roi est le chef des croyants et descend directement du Prophète, Mahomet. Il est donc pleinement légitime dans tout ce qu’il fait et ne peut qu’être respecté par ses sujets. Si vous souhaitez émettre la moindre critique à son égard ou questionner les Marocains sur ce qu’ils pensent de leur souverain, passez donc votre chemin ! La réponse ne pourra qu’être positive… De même, ne vous montrez pas trop curieux sur le sujet de la santé du Roi ; on dit qu’il est très malade mais ne vous avisez pas de vouloir en savoir plus : les Marocains n’aiment pas parler de cela car le Prince héritier n’ayant que 13 ans, la situation politique serait tendu si Mohammed VI venait à mourir… Et le Roi étant le descendant direct du Prophète, il est dérangeant de penser qu’il puisse être faillible…
Enfin, parlons du Sahara Occidental - sujet complexe dont nous ne débattrons pas ici. En bref, le Maroc considère le Sahara Occidental comme marocain - au Maroc, jamais vous ne verrez une carte indiquant une séparation entre le Maroc et le Sahara Occidental, alors que le Front Polisario revendique l’indépendance de la République Arabe Sahraouie Démocratique depuis la décolonisation du Sahara Occidental (colonie espagnole jusqu’en 1976). Dans l’histoire, l’Algérie soutient le Sahara Occidental, ce qui n’arrange pas les choses avec le Maroc… Le statut final du Sahara Occidental, qui figure toujours sur la liste des « territoires non autonomes » de l’ONU, reste donc à déterminer.
Le Maroc est un Etat musulman qui reconnaît l’Eglise catholique depuis 1983. Ses 30 millions d’habitants sont donc tous officiellement musulmans mais les étrangers chrétiens ont le droit de pratiquer leur religion sur le sol marocain. Français, Espagnols, Anglais, Italiens, Polonais et Subsahariens forment ainsi l’Eglise du Maroc, joyeuse et cosmopolite.
Nous avons été marqués par l’importance de la communauté subsaharienne au Maroc et par la ferveur et l’enthousiasme avec lesquels les Subsahariens vivent leur foi. Pour ne donner qu’un exemple, nous avons participé à la nuit d’adoration organisée tous les derniers vendredis du mois par la communauté étudiante subsaharienne de Casablanca ; de 22h à 6h, nous avons chanté, dansé, crié… pour ne laisser aucune minute de silence subsister ! Ce fut un moment de partage déroutant mais très beau et très touchant.
Etre chrétien au Maroc est donc possible, tant que l’on est étranger et que l’on respecte certaines conditions. Ainsi, il est fortement déconseillé de parler du christianisme à un Marocain, sous peine d’être accusé de prosélytisme, comportement qui est au Maroc puni d’expulsion immédiate. Comme nous le dira frère Natalae, moine franciscain qui vit au beau milieu de la médina de Meknès, « la mission des prêtres, religieuses et religieux au Maroc est une mission d’évangélisation par les actes et non par la parole ». Au Maroc, les prêtres, religieuses et religieux sont là pour faire vivre la foi des catholiques étrangers et témoigner par leurs actes de l’amour de Dieu mais ils ne peuvent pas parler de ce dernier aux Marocains, même si ceux-là sont intéressés par la religion catholique. « Le Christ est venu sauver tous les hommes sans exception, c’est donc terriblement frustrant de ne pouvoir parler de son amour infini à une partie d’entre eux… » déplore ainsi le père Franklin, prêtre béninois rattaché à la paroisse de Casablanca. La situation des prêtres au Maroc est d’autant plus délicate qu’ils ne sont pas rares à avoir reçu des appels ou des visites de Marocains soi-disant attirés par le christianisme… et en réalité plutôt missionnés pour tester les prêtres et vérifier qu’ils ne cherchaient pas à convertir des Marocains !
Les prêtres, religieuses et religieux du Maroc mettent ainsi en pratique cette phrase de Bienheureux Charles de Foucault : « Puisque cet homme est si bon, sa religion doit être bonne ».
Ainsi, fidèles au message du Christ et suivant les pas de Mère Teresa, les Missionnaires de la Charité de Casablanca s’occupent avec amour des rejetés de la société marocaine sans pour autant parler de leur foi à ces derniers. Lors de notre séjour auprès d’elles, nous vivions avec des Marocains et n’avions donc pas le droit de chanter de chant religieux en-dehors de la chapelle… Nous admirons beaucoup ces femmes qui prennent chaque jour le plus grand soin de jeunes femmes à qui elles ne pourront jamais parler de celui qu’elles ont mis au cœur de leur vie : Jésus.
Nous admirons également les Missionnaires de la Charité de Casablanca pour leur grand respect de l’Islam ainsi que des us et coutumes du pays. En effet, en période de Ramadan, elles achètent les aliments particuliers que les musulmans mangent pour rompre le jeûne – aliments qui coûtent très chers – pour que les filles-mères qu’elles hébergent puissent respecter les traditions. Les Missionnaires prévoient également une centaine de sacs contenant ces aliments pour les distribuer à des familles dans le besoin…
Même si elles ne peuvent parler ouvertement de leur foi, les Missionnaires de la Charité de Casablanca expriment ainsi au travers de leurs actes l’amour immense que le Christ porte à chaque homme.
Lors de notre premier soir au Maroc, nous avons pu échanger avec une étudiante française effectuant son stage de fin d’études au sein d’un centre pour handicapés de Tanger. Elle nous explique qu’il y a seulement quelques années, le handicap était très mal vu au Maroc car perçu comme une malédiction divine… Les enfants handicapés étaient cachés ou abandonnés par leurs parents, qui craignaient que la honte ne s’abatte sur la famille si l’entourage découvrait l’enfant soi-disant maudit... Les mentalités sont heureusement en train de changer mais cette jeune femme nous touche car elle nous avoue avoir trouvé ici sa vocation : « je souhaite sensibiliser les Marocains pour qu’ils aient un autre regard sur le handicap et qu’ils agissent en faveurs des personnes handicapés ! Pourquoi revenir en France où les mentalités ont heureusement bien évolué ? Au Maroc, il y a tout à construire et je me sens vraiment utile ! »
Aïcha et Lahcen, 2 Français d’origine marocaine qui nous avaient pris en stop en France, nous avaient prévenus que la conduite marocaine figurait parmi les plus dangereuses du monde… et ils n’avaient pas tort ! Embarquons ensemble pour un trajet en taxi, et tu comprendras…
Déjà, il faut savoir que le taxi est au Maroc le transport « du pauvre », c’est-à-dire de celui qui n’a pas la chance d’avoir une voiture pour arriver plus vite à destination ; et le taxi ne coûte pas beaucoup plus cher que le bus ou le tramway !
Tu veux un taxi ? Mets-toi au bord de la route et agite le bras : dans les 30 secondes, un taxi rouge devrait brusquement modifier sa trajectoire (sans clignotant bien sûr) pour venir s’arrêter devant toi. Si tu as de la chance, le taxi ressemblera à peu près à une voiture normale ; sinon, tu écumeras d’une très vieille Fiat qui aurait plutôt sa place à la casse que sur une route. Mais tu es pressé donc tu ne bronches pas et montes à bord de l’épave. A l’intérieur, tout ce qui a été conçu pour assurer ta sécurité a justement été retiré : point de ceinture, point d’appui-tête – coup du lapin et valdingue dans tous les sens bonjour ! Le conducteur démarre. S’ensuivent alors les minutes les plus effrayantes de ta vie : ici, conduire, c’est comme au kart, mais version réel ! Le chauffeur conduit au milieu, et non dans les voies de gauche ou de droite (pourquoi choisir ?), il traverse les ronds-points en allant tout droit (malheur à celui qui doit tourner à gauche !), double par la gauche ou par la droite - peu importe, ne s’arrête jamais aux stop et pas toujours aux feux rouges, ignore complètement la priorité à droite (ou peut-être ne sait-il même pas ce que c’est ?) et, surtout, il fait tout pour se glisser là où il veut aller, même si l’espace qu’il lui reste est confiné entre un mur en béton et un énorme camion se rabattant à moitié sur sa voie… A cet instant précis, tu te rappelles que seule une mince couche de tôle te protège de tout ce qui t’entoure… mais ton regard tombe sur un de ces « grands taxis » et tu cesses de te plaindre lorsque tu aperçois les 8 personnes qui s’entassent dedans – 3 devant, 5 derrière, bon voyage messieurs dames ! Après ces véritables montagnes russes, te voilà enfin arrivé à destination. Tu es un peu chamboulé et envisages d’effectuer le trajet à pied la prochaine fois ; n’y songe même pas : ici, réussir à traverser une route relève de l’exploit et si par hasard tu marches sur la chaussée, les voitures te foncent dessus au lieu de t’éviter… Une logique dans tout cela ? Point mon ami, sauf peut-être celle-ci : un Marocain fait tout pour arriver le plus rapidement possible à destination, peu importe les risques qu’il doit prendre !
Juin 2016